Poétique historique des textes modernes (PHisTeM)

Responsables : Matthieu Letourneux / Alain Vaillant

Parallèlement au vaste mouvement de recherches qui privilégie les interactions nombreuses et multiformes entre la littérature et les sciences, les savoirs ou les idéologies, la poétique historique, comme la stylistique historique dont elle partage l’intérêt pour les problèmes esthétiques, s’attache prioritairement aux réalités formelles, même si on ne peut les concevoir sans prendre en compte l’ensemble des discours sociaux ou le fonctionnement concret des institutions littéraires et des modes de communication. Plus précisément, elle a pour objets les évolutions du faire littéraire ainsi que l’émergence de nouvelles formes ou de nouveaux styles d’écriture, la formation ou la mutation des procédés, des pratiques d’écriture, des genres. Ces dernières années, elle a pu s’attacher, en ce qui concerne le XIXe siècle, aux rapports entre presse et littérature, à la poétique du rire, aux transformations romantiques et post-romantiques du vers, à l’énonciation lyrique et plus généralement aux modes d’inscription de la présence auctoriale, à l’élaboration progressive de l’esthétique réaliste aussi bien en poésie que dans le domaine de la fiction narrative, aux formes d’écriture mineures ou agénériques (lettres, carnets, journaux intimes), aux résurgences nouvelles de l’oralité dans la sphère de l’écrit et de l’imprimé.

La poétique historique considère donc avant toute chose la littérature comme une pratique à la fois artisanale et artistique, dont l’histoire implique comme préalable celle de ses matériaux, de ses techniques et de ses traditions. Outre la description précise des phénomènes textuels, elle exige de mobiliser un ensemble très divers de données historiques : apprentissages scolaires ou professionnels, poids des institutions littéraires, système des genres, état des techniques et des procédés, contraintes matérielles, etc. Elle suppose en outre, cela va sans dire mais c’est là sa principale difficulté, de se plonger dans de très vastes corpus textuels, sans souci de hiérarchie ou d’appréciation esthétique, mais pour mieux connaître, de l’intérieur et jusqu’aux processus cognitifs qui en découlent, l’horizon familier de tout écrivain et de tout lecteur. Enfin, parce que la littérature est une forme de communication parmi d’autres, la poétique historique doit s’inscrire dans une histoire générale des formes de communication qui, à chaque époque, sont amenées à interagir entre elles et à se modifier réciproquement : à cet égard, l’un des phénomènes les plus considérables du XIXe siècle est la constitution des industries de l’imprimé (presse et édition), qui bouleverse les conditions, économiques et sociales mais aussi formelles, de la production littéraire. De même, la poétique historique ne peut se penser indépendamment des arts de la musique, du spectacle, ou de l’image, tout comme elle devra intégrer au XXe siècle l’influence du cinéma, des médias audio-visuels et des technologies de communication électroniques.

Quant à l’expression même de « poétique historique », elle traduit une double préoccupation : non seulement celle d’éviter toute confusion avec la poétique formelle, où la description abstraite des phénomènes textuels choisit, par souci méthodologique, d’ignorer également l’historicité et la composante proprement artistique de la littérature, mais encore le souci de se démarquer des diverses lectures qui, plus ou moins directement inspirées de la sociocritique ou de la socio-poétique, prévalent aujourd’hui dans les travaux dix-neuviémistes et qui, de fait, annexent les questions de forme et d’écriture à l’interprétation idéologique des textes. D’autre part, la notion de « textes modernes » est moins neutre qu’il ne semble au premier abord, au moins du point de vue de l’histoire littéraire : le XIXe siècle est en effet marqué, entre autres choses, par l’émergence des notions de texte et de livre, au détriment de l’art rhétorique du discours, qui caractérisait la culture d’Ancien Régime : la « littérature-texte » des temps modernes se substitue à la « littérature-discours » de l’âge classique et l’emploi du terme de « texte » renvoie à cette évolution historique majeure. l’adjectif « moderne » a, lui, l’avantage d’être moins compromettant que le nom de « modernité », qui, tel qu’il a été abondamment repris et réinterprété depuis Baudelaire, a fini par perdre son sens originel et par être chronologiquement déporté vers la fin du XIXe siècle voire vers le XXe siècle. Cependant, pour les contemporains de Balzac et de Baudelaire, qui ont tous deux employé le terme de « modernité », l’époque moderne désigne, comme pour les historiens, la période faisant suite au moyen âge et s’opposant aux temps antiques : le XIXe siècle post-révolutionnaire est seulement plus conscient de sa modernité que l’Ancien Régime et, en conséquence, plus capable d’en tirer un profit artistique original.
 
Projets de recherche : L’axe « poétique historique des textes modernes » associe trois démarches méthodologiques complémentaires. L’approche poéticienne et stylistique s’attache à l’évolution même des pratiques scripturales, en s’efforçant de cerner au plus près la chronologie des faits et la nature des transformations formelles ou génériques. L’approche socio-historique est adossée à la fois à l’histoire des médias, à l’histoire culturelle et à la sociologie littéraire. Enfin, l’étude monographique d’œuvres et d’auteurs exemplaires doit évidemment faire partie intégrante de la recherche littéraire : notamment, compte tenu des problématiuques actuelles du PHisTeM, celle de Balzac, de Baudelaire, des Goncourt.

En outre, si, à l’intérieur de ce cadre méthodologique, tous les sujets peuvent être abordés – notamment en fonction de l’évolution de l’équipe –, trois directions de recherche sont privilégiées :
 
  • poétique historique et histoire de l’imprimé au XIXe siècle (la question de la petite presse et de l’écriture journalistique forme le noyau, non exclusif, de cet axe).
  • permanence et mutations de la poésie et, en particulier, de la poésie syllabique (on sait que la plupart des spécialistes de poésie moderne s’intéressent principalement aux formes non syllabiques de poésie, ou, du moins, n’étudient pas en lui-même le problème poétique – et non pas seulement linguistique ou métrique – que pose spécifiquement le syllabisme).
  • modalités de la présence auctoriale dans la littérature et dans l’art (notamment la poétique du rire, le rire étant l’une des principales manœuvres par lesquels l’auteur impose indirectement sa présence, au sein d’une culture du XIXe siècle où domine par ailleurs le goût du comique, de la dérision et de la parodie).
  • poétique historique du diarisme, autour du Journal des Goncourt.

Au-delà des chercheurs et des enseignants-chercheurs de l’université Université Paris Nanterre (Nanterre la Défense), le PHisTeM entend s’ouvrir aux collaborations extérieures, individuelles ou institutionnelles. Nous invitons donc toute personne intéressée à contacter Pierre-Jean DUFIEF ou Alain VAILLANT .

Mis à jour le 17 octobre 2018